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JUSQUÀ L’INCOMMENSURABLE
Les rouleaux de
prière éthiopiens présentent un art peu " Orthodoxe "
où la foi se mêle intimement aux croyances magiques. Taillés
à la mesure des corps des fidèles afin de les protéger
de la tête au pied, ces parchemins réalisés sur
les peaux rasées des bêtes sacrifiées allient sur
leurs surfaces les paroles des textes écrites à une profusion
de signes et d’images. Les illustrations sont dépouillées
de toute narration. D’étranges figures talismaniques se dressent
parmi les anges, les génies et les démons. Des réseaux
ornementaux forment d’étranges labyrinthes. Des constellations
de signes et de mots explosent de partout.
Les bandes peintes
d’Hanibal Srouji font un écho lointain à ces uvres
particulières. Réunies en polyptyques, elles offrent à
voir un champ plastique dénudé de toute forme figurative.
Les multiples facettes de l’uvre abstraite du peintre se retrouvent
réunies sur ses tissus aux bords brûlés, libérés
des limites du cadrage traditionnel. On retrouve ça et là
les tracés, les stries, les teintes et les criblures que l’on
connaît sur les toiles tendues sur châssis, les papiers
absorbant en coton, et les collages constitués de tissus brûlés
et colorés. Chaque rouleau s’ouvre sur une surface de huit rectangles
égaux délimités par les plis du tissu. Nul besoin
de trouver un motif central. Les tracés de l’acrylique se diluent
sur le blanc vierge du coton de la toile. Les bandes se complètent
suivant un jeu subtil où le hasard est le frère de la
mesure.
Les tons varient
constamment. Les couleurs vives alternent sut des espaces traversés
de masses diluées et brouilles. La palette change sensiblement
d’un parchemin à un autre. Les bleus, les verts et les jaunes
purs évoquent les paysages fauves. Les noires laissent sentir
un parfum d’Asie. Les terres et les ocres équilibrent le foisonnement
des signes dispersés harmonieusement dans cet espace toujours
ouvert. Formes et couleurs se conjuguent sans jamais se fermer dans
une composition géométrique close, constituant des ordonnances
variables et interchangeables, sans fin ni commencement.
Abstraite à
un premier degré, la peinture laisse entendre les forces du monde
créé. Les formes géométriques parfaites
sont rares, et souvent diluées et estompées. Aux apparitions
platoniciennes " simples, immuables et bienheureuses ", se
substitue un champ mouvant qu’animent les éléments du
monde sensible et ses forces génératrices, l’air et la
terre, l’eau et le feu. Résolument modernes, voir post-modernes,
les rouleaux protecteurs d’Hanibal oscillent entre l’invisible et le
visible, le descriptible et l’indescriptible. Dans un état de
vibration continuelle, les horizons se nouent et se dénouent,
créant un espace nouveau, ouvert jusqu’à l’incommensurable.
M.
Zibawi 1999
Until the Incommensurable
The Ethiopian protective
scrolls present an art that is not very "orthodox" where,
at the same time, faith is intimately mixed with magic. Cut out to the
height of the faithfuls to protect them from the head to the feet, these
parchments are made of razed sacrificed animal skin combining on their
surfaces the words of written texts with a profusion of signs and images.
The illustrations are deprived of narration. Strange talismanic figures
stand among angles, genies and devils. Ornamental networks form strange
labyrinths, and constellations of signs and words burst from everywhere.
The painted strips
of Hanibal Srouji echo from afar these particular works. Grouped in
multi-panel works, they present a visual field stripped of figurative
representation. The many facets of his abstract work are found gathered
here on these canvas strips with burnt edges, liberated from the limits
the traditional framing. We find here the tracings, the scores, the
colors and the siftings that we know from the stretched canvas, the
absorbent cotton paper works and the colored burnt canvas collage works.
Each scroll opens up onto eight equal rectangular spaces delimited by
the folds of the canvas. There is no need to look for a central motif.
The tracings in acrylic are watered down over the raw canvas. The strips
complete one another in a subtle play where hazard is akin to measure.
The tones vary constantly.
The colors are vivid alternating over spaces crossed by diluted and
blurred masses. The color palette changes appreciably from one parchment
to another. The pure blues, greens, and yellows evoke "fauve" landscapes.
The blacks let a sent of the Far East. The earth colors balance the
numerous signs dispersed harmoniously over this ever-open space. The
forms and colors combine without closing in solid geometric compositions,
constituting variable and interchangeable arrangements with no end or
beginning.
Abstract to a high
degree, the painting insinuates the creative forces of the created world.
The perfect geometric forms are rare. They are often diluted and blurred.
The platonic apparitions "simple, immutable, and blessed"
are substituted for by a moving field that animates the elements of
the tangible world and its generative forces, air, earth, water and
fire. Resolutely modern, even post-modern, the protective scrolls of
Hanibal oscillate between the visible and the invisible, the describable
and the indescribable. In a state of continuous vibration where horizons
join and disjoin creating new spaces open until the incommensurable.
M.
ZIBAWI 1999